Syrie : entre stériles négociations et succès militaires

La presse se fait l’écho des difficultés à réunir la conférence de Genève au sujet de la Syrie. Reportée, elle bute sur la question des participants et de la liste des délégués de « l’opposition » ou, plus exactement, des rebelles. Il n’est point besoin de prédire que la montagne accouchera d’une souris. On pourrait à loisir décrire les contradictions internes entre rebelles, les divergences sur l’ordre du jour ou les objectifs à atteindre, les influences contrastées (!) des grands parrains. Au fond, là n’est pas le plus important. Car en Syrie, deux choses ont changé : l’engagement militaire des Russes et la coalition occidentale contre l’EI.

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L’engagement militaire russe

En effet, les positions à Genève sont largement affectées par ce qui se passe sur le terrain. Rappelons, une fois encore, l’adage clausewitzien : la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Or, la diplomatie en cours (la fameuse recherche d’une solution politique) suppose que la guerre serait finie ou sur le point de l’être. Rien n’est moins vrai. Alors qu’à l’été, les forces du régime (FAS) montraient des signes d’épuisement et qu’on notait les quelques prises de terrain par les rebelles, l’intervention russe à partir de septembre a radicalement changé les choses. On apprend ainsi, à l’audition du général Castres devant le Parlement, que les Russes sont présents avec 4000 à 6000 hommes avec non seulement des avions mais aussi des chars et de l’artillerie. Autrement dit, non contents d’avoir apporté une suprématie aérienne (depuis combien de temps n’avez vous pas entendu parler de barils d’explosifs lancés par le régime?), non content d’avoir réorganisé les systèmes de commandement et introduit planification et conduite, ils sont aussi sur le terrain, assez au contact pour ajouter des effets directs sur les points d’efforts.

En termes militaires, on désigne cela par les mots de commandement (bien au-delà des simples systèmes de communication, car incluant aussi les fonctions d’état-major et donc de conduite combinée des opérations) et d’appui (aérien mais aussi sol-sol grâce à l’artillerie et en coup direct avec les chars). Autrement dit, ils ont apporté de la complexité, de la gestion des espaces, de la précision et du volume de feu. Les progrès sont lents mais réels. Il s’agit d’une guerre d’usure mais menée méthodiquement. Elle progresse continument, mais lentement tant le régime est à court de troupes. Ce déficit d’infanterie (de troupes de choc et feu) est compensé par l’appui. Surtout, à la différence des Occidentaux, les Russes ont des troupes au sol qui ont été réorganisées et qui reprennent vigueur et moral grâce aux succès accumulés.

Ceux-ci sont indéniables. En trois mois, les Forces armées syriennes ont :

  • repris une large zone autour d’Alep, dégageant la base assiégée de Kuweires et poursuivant leur progression vers le nord.
  • dégagé la province de Lattaquié (le réduit alaouite, sur la côte), conquérant une zone profonde de 5 km sur 25 km de large.
  • Confirmé la tenu de l’axe central entre Damas et Hama jusque Alep, ainsi que la frontière libanaise.
  • effectué, tout récemment, des progrès autour de Damas (la Ghouta orientale) mais aussi vers le sud (région de Deraa).

Principalement, ce sont les rebelles non-EI qui ont fait les frais de ces succès. Toutefois, l’EI a cédé du terrain au nord d’Alep où l’affrontement avec les FAS est frontal. L’EI a bien essayé de prendre l’offensive sur Deir es Zor, à l’est du pays, mais la chasse russe est rapidement intervenue pour stopper massivement les dégâts et la ville demeure encore aux mains des FAS.

Ces efforts russes ne coûtent pas très cher à Moscou qui peut tenir dans la durée. Cela modifie donc radicalement les termes de l’équation : la méthode marche et le régime a repris confiance. Il peut espérer des percées dans le nord (soit de Kuweires vers la frontière turque, en opérant une jonction avec les forces kurdes, soit en fermant Alep), mais aussi continuer ses progressions pour reprendre toute la province de Lattaquié avec pour objectif ultérieur Idlib, ou encore poursuivre son grignotage au sud (une reprise de Palmyre serait un beau symbole). Autrement dit, le régime a aujourd’hui beaucoup d’options tactiques qui toutes accentuent les faiblesses de l’ennemi, notamment sa division. Sa complexité accrue renforce le désordre de ses adversaires (la discorde chez l’ennemi ?).

Cela a des conséquences politiques évidentes. Puisque la situation militaire n’est pas stabilisée, le régime n’a aucun intérêt à négocier d’autant plus que sa pression renforce les divisions politiques de ses adversaires. Dans le même temps, les adversaires hésitent sur la conduite à tenir : négocier (sachant que personne n’est d’accord sur quoi négocier) ou résister sur le terrain (sachant qu’avec les revers, chacun s’accroche à ses positions et est moins que jamais enclin à coopérer).

Une unification occidentale

Les attentats de Paris ont conduit à une unité occidentale sur le dossier du Levant. Après Clausewitz, citons Schmitt : la politique, c’est désigner l’ennemi. La question faisait débat en Occident. Après les attentats de Paris, une simplification s’est opérée : chez les Français qui ont hiérarchisé leurs priorités (du ni-ni qui prévalait, Paris est passé à « L’EI est notre ennemi »), chez les Britanniques (D. Cameron a saisi l’opportunité pour revenir sur le théâtre levantin grâce à un vote des Communes qui efface celui de septembre 2013), chez les Allemands (car si le soutien est mesuré vu de Paris, il est considéré en Allemagne comme « la première guerre de Merkel »), chez Obama enfin, trop heureux de trouver une unité occidentale qu’il puisse afficher sur le théâtre intérieur en guise de stratégie au Moyen-Orient.

Cela laisse bien sûr la place à bien des ambiguïtés, qui sont le sort de toutes les alliances (Foch disait : « j’admire beaucoup moins Napoléon depuis que j’ai commandé une coalition »). Il n’empêche qu’il y a concentration des efforts. Il y a surtout un partage des rôles implicite, que personne n’admettra officiellement mais qui est assez visible sur le terrain : les Occidentaux s’occupent de l’EI en Irak principalement, laissant la question syrienne à V. Poutine. Ainsi, il n’y a donc pas de « grande coalition » telle que l’espérait Poutine, il y a à tout le moins un partage des rôles qui y correspond.

Cela se traduit sur le terrain politique, notamment celui des négociations de Genève : ainsi, les Occidentaux font finalement peu de pression sur la définition de la liste des opposants, allant même jusqu’à accepter la récusation de tel ou tel. Cela peut paraître une politique à courte vue, qui ne prévoit pas le coup d’après. Mais si l’objectif est d’abattre l’EI, le reste est considéré comme subordonné à ce dessein. Or, vu des Occidentaux, les négociations de Genève n’apparaissent pas comme le meilleur moyen de résoudre la question du califat. On qualifiera cette vue de cynique ou réaliste, au choix.

Observer les opérations

Ainsi, la diplomatie n’intervient que quand les adversaires sont d’accord pour cesser les frais. Ce n’est manifestement pas le cas en Syrie. Le régime croit en ses chances de victoire militaire, les rebelles estiment qu’ils ne peuvent céder. La guerre est affrontement des volontés (bien plus que la stratégie qui n’est que la conception et la mise en œuvre du but de guerre et des moyens d’y parvenir). Aujourd’hui, une volonté se renforce, une autre s’érode, pas suffisamment pour aller négocier. Genève ne produira rien sinon de nombreux commentaires dans les journaux. Il vaut mieux encore regarder le déroulement des opérations sur le terrain.

JDOK

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